06/02/2008

■ - Définir l'intelligence économique -

Une notion en pleine évolution
D'une vision centrée sur le renseignement, l'intelligence économique évolue vers une conception intégrant à la fois l'information stratégique, les rapports géopoligiques, les facteurs idéologiques et culturels de la guerre économique, l'infostratégie
L’Intelligence économique (souvent réduite à ses initiales « IE ») est la version française de ce que les Anglo-Saxons nomment competitive intelligence. Dans notre pays, la notion est apparue en 1994 dans un rapport d’Henri Martre. Celui-ci insistait sur la notion «de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques». Afin de bien distinguer l’IE de l’espionnage industriel, le rapport soulignait que cette quête du renseignement pertinent devait se faire dans le respect de la légalité.
L’intelligence économique est d’abord interprétée comme l’art de savoir ce qui servira à être performant, à conquérir des marchés,… Cette notion évolue au cours de la décennie 90 en même temps que les notions de mondialisation et de société de l’information mais aussi de risque informationnel, d’hypercompétitivité… Le champ de l’intelligence économique s’élargit ; il ne s’agit plus de bien protéger ses secrets ou de faire de bonnes fiches sur l’actualité technologique, la concurrence, la législation d’un État, les brevets… ; il faut que toute stratégie économique, qu’elle soit d’État ou d’entreprise, intègre de nouveaux facteurs: les impératifs de l’économie de l’information et de la connaissance, la fragilité du patrimoine informationnel d’une entreprise, mais aussi de ses systèmes d’information, de sa réputation, la dépendance de ses activités à l’égard de l’opinion, des médias, des Ong, des nouvelles exigences (sécuritaires, éthiques, environnementales) de la société civile, les nouveaux rapports de protection et de coopérations entre l’État stratège et ses entreprises les plus sensibles, les facteurs culturels du comportement économique…
Il n’est pas seulement question d’ajouter de l’intelligence au à l’économie envisagée comme simple lutte contre la rareté mais de développer une nouvelle intelligence de l’économie dans le jeu de la puissance, de l’influence, du conflit, des valeurs…
Le rapport que le député Carayon a consacré a l’IE en 2003 reprend le thème et souligne trois objectifs auxquels doivent coopérer l’État et les entreprises :
– la maîtrise du patrimoine scientifique et technologique à protéger en priorité, ce qui suppose donc des hiérarchies stratégiques
– la détection des menaces et des opportunités par l’acquisition de l’information utile à la décision économique au sens large
– des politiques d’influence au service de l’intérêt national et/ou de l’entreprise.
Dans la pratique, ces trois éléments contribuent à une stratégie globale. Il s’agit, à travers la gestion des flux de connaissance – surabondants dans la société dite de l’information – de réduire ses vulnérabilités, d’anticiper les potentialités positives ou négatives de l’environnement (pour trouver des marchés, par exemple), et enfin de créer des opportunités. L’IE est indispensable dans une société où l’avantage compétitif repose souvent sur la capacité de maîtriser des connaissances avant les autres mais aussi de produire des images positives et de trouver des alliés.
Depuis, de nombreuses affaires qui ont défrayé l’actualité n’ont cessé de mettre l’IE sur le devant de la scène, qu’il s’agisse de déstabilisation d’entreprises ou des débats sur le patriotisme économique.
Il faut donc concilier :
– la protection légale et technique des informations détenues par l’entreprise. Cet aspect défensif est souvent mis en avant en raison de ses connotations romantiques – secret, renseignement –. S’il constitue la base de la sécurité, ce n’est pas le plus décisif.
– la recherche de l’information pertinente par la veille et la coopération. La veille elle-même se décline en veille prospective, environnementale, concurrentielle, sociétale… Elle doit ouvrir sur tous les phénomènes non économiques interférant avec la marche de l’entreprise. Ce processus appelle un complément, l’anticipation des risques d’image. Il faut aussi déceler les tentatives de déstabilisation informationnelle, les rumeurs, l’intoxication. Savoir ce qu’il faut, savoir ce que l’on sait et empêcher qu’autrui ne croie ou ne sache ce qu’il ne faut pas : autant d’aspects d’une même démarche pour traduire l’acquisition d’information en capacité d’action.
– le troisième volet, l’influence qui agit en amont de la performance économique, suppose la vision la plus large. C’est un mode d’action indirect sur les perceptions et évaluations d’autrui. Il passe par l’image que l’on émet (tel le prestige d’un pays), par le message que l’on propage (ce que les Américains nomment « diplomatie publique »), par les vecteurs et réseaux que l’on mobilise (les réseaux), et plus souvent encore, par une combinaison des trois : prestige, persuasion, médiation. L’influence est cruciale, depuis sa version la plus triviale, le lobbying, jusqu’aux grandes stratégies des États pour s’ouvrir de futurs partenariats économiques par la diplomatie, la culture, l’éducation…

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